Pendant la Grande guerre, écrivant à sa femme Hélyonne, alors qu’il compose Le Feu, Henri Barbusse s’emporte, dans une courte plaidoirie : « Jésus de Nazareth n’a pas mérité le mal que lui a fait l’Église ». Cet aveu ne peut sembler paradoxal qu’à ceux qui se refusent à considérer les contradictions et les déchirures — aveuglantes — entre l’histoire temporelle de l’Institution romaine et le Sermon sur la montagne prononcé par le Christ dans l’Évangile.
Cependant, en 1896, fiancé avec la même Hélyonne, fille du chef de file des poètes parnassiens Catulle Mendès, le jeune Barbusse avait asséné à sa fiancée, dans une lettre, qu’elle allait « épouser un athée qui souscrit aux théories immanentistes de Kant et de Bergson ».
Diable. On ne sait pas ce qu’en pensa Hélyonne. Henri Bergson avait été, ainsi que Pierre Janet — philosophe et médecin — professeur du jeune poète-philosophe… Barbusse, « athée et kantien » for ever : déclaration gravée dans le marbre. Ainsi écrivent les jeunes gens à la fille qu’ils aiment pour toujours…
Mais il faut observer de près le long et fervent combat que fut la vie de Barbusse, au travers de ses livres et de son action politique (qu’il est impossible de distinguer les uns de l’autre), et remonter à l’origine, ou plutôt à une généalogie spirituelle marquée par une histoire douloureuse et violente : celle des Camisards. Les ancêtres de Barbusse, cévenols d’Anduze, furent des résistants camisards, après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Quinze ans plus tard, certains de ses ancêtres furent d’ailleurs arrêtés à Toulon pour avoir choisi la « réconciliation avec Dieu » protestante.
Le père d’Henri lui-même avait entrepris des études de théologie à la faculté de Genève, études qu’il jugea « mornes et austères »… Le père perdit la foi. Mais la dimension spirituelle fut-elle jamais étrangère au fils — dans sa vie comme dans son œuvre —, malgré sa vigoureuse protestation d’athéisme ?
1918 : après la saison du massacre et le désastre européen que fut la guerre qu’on appelle étrangement « grande », Barbusse avait compris qu’une solution de continuité, radicale, dans l’Histoire, était nécessaire, pour qu’adviennent la paix et à la justice sur terre.
Ainsi, à cinquante ans, en 1923, déçu par l’évolution du mouvement universaliste et humaniste Clarté, qu’il avait fondé, il se décida à adhérer au Parti communiste. C’est alors qu’au grand étonnement de certains camarades du parti, Barbusse, responsable des pages littéraires du quotidien L’Humanité, écrivit coup sur coup trois livres : Jésus et Les Judas de Jésus (1927), puis Jésus contre Dieu (1928).
Pourquoi la nécessité de faire entrer Jésus sur la scène de la toute neuve révolution ? P.L.